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Les jardins collectifs sont-ils bénéfiques ?
3 février 2014

Les jardins collectifs urbains : effet de mode ?

 

Les jardins collectifs urbains : effet de mode ?

Emmanuel BOUTON, Le GRAIN asbl, 19 janvier 2011


1. Les jardins collectifs urbains

Depuis quelques années, il existe un engouement certain de nombreuses personnes issues de milieux sociaux variés pour les jardins collectifs. Également appelés « jardins communautaires » ou « jardins partagés », ils correspondent à une forme de gestion en commun d’un terrain par un groupe d’habitants d’un même quartier. L’existence d’un jardin collectif repose donc sur une dynamique participative. Les habitants le cultivent ensemble en vue de récolter fruits et légumes. En plus de l’espace potager, il n’est pas rare que des zones naturelles y soient créées en vue de favoriser l’accroissement de la biodiversité en flore et faune (insectes, oiseaux...) locale.

De nombreux bienfaits sont reconnus aux jardins collectifs urbains : ils permettent à des personnes de récolter des fruits et des légumes plus frais, de meilleur goût et de qualité biologique. L’anthropologue Manon Boulianne[1] explique que les jardins peuvent aussi représenter une réponse économique ou encore un moyen de lutter contre la « malbouffe ». Produire par soi-même une partie de son alimentation offre donc l’opportunité de s’écarter ou de sortir des logiques de marché, de consommer de la nourriture saine que certains ne pourraient s’offrir autrement. Ils économisent en même temps qu’ils prennent soin de leur santé.

Les jardins collectifs peuvent aussi avoir des vertus thérapeutiques : considéré comme un « loisir vert », leur culture permet aux jardiniers d’allier l’exercice physique, la détente en plein air et la contemplation de la nature. Le contact et le plaisir procurés par le travail de la terre permettent à des personnes (tant des « anciens ruraux » que des citadins) de répondre à leurs aspirations d’un contact avec la « nature ». Les jardins collectifs représentent des espaces de liberté, d’autonomie et de créativité. Produire quelque chose par soi-même, montrer à d’autres ce que l’on a produit, partager avec le collectif des fruits et des légumes ou en donner à des amis ou à la famille peuvent être source de valorisation et d’estime de soi. En parlant des ouvriers français du 20ème siècle, Florence Weber note qu’en jardinant, les « hommes cultivent en même temps leurs légumes et leur dignité personnelle »[2].

Ne correspondant aucunement à des parcelles individuelles démarquées, les jardins collectifs contribuent à renforcer les liens sociaux entre des personnes de générations, de conditions, de classes sociales et d’ethnies différentes. Les jardins collectifs sont aussi des lieux au sein desquels les jardiniers ont la possibilité de partager et de renforcer des valeurs telles que la solidarité, la convivialité, la tolérance ou encore la bonne entente. Il n’est pas rare que ces lieux puissent être le point de départ d’initiatives favorisant la cohésion sociale (organisation de fête, de tables d’hôtes ou encore création d’une chorale, d’une fanfare, …). Pour certains, les jardins collectifs sont une réponse à l’anonymat de la ville. Ils contribuent également à éveiller l’esprit d’entraide auprès des personnes et des collectivités qui les avoisinent.

Avoir un impact écologique sur l’espace urbain, voilà encore une autre fonction que les jardins collectifs urbains peuvent revêtir. Les pratiques respectueuses de l’environnement y sont, en effet, favorisées : culture de plantes indigènes, redéfinition de la notion et de la liste des « mauvaises herbes », prohibition des fongicides, des pesticides ou des désherbants chimiques, valorisation des eaux de pluie, fabrication et utilisation du compost sur place à partir de déchets organiques. Des zones naturelles y sont créées en vue d’accroître la biodiversité en flore et en faune locale. La présence de jardins peut même contribuer à améliorer les microclimats urbains, assainir des zones insalubres, participer au recyclage de certains déchets, etc[3].

Par ailleurs, ces espaces représentent aussi des lieux d’apprentissage et de réappropriation de savoirs, de savoir-faire et de culture : ils assurent la perpétuation des traditions agricoles à travers les générations, la transmission des connaissances ou encore la mise en pratique de savoirs et de goûts. Ils promeuvent la découverte de la nature en ville, la transmission d’une connaissance du monde végétal par la pratique du jardinage, l’éducation de l’éducation à l’environnement et la sensibilisation à l’éco-citoyenneté.

Reposant sur une dynamique participative, les jardins collectifs s’appuient sur une volonté d’implication des habitants dans la réflexion associée non seulement aux premiers aménagements d’un jardin, mais aussi à son animation régulière (plantations nouvelles, entretien, gestion de l’association, fêtes, activités annexes,...). En effet, toutes les décisions d’aménagement, de plantations, d’animation et de gestion du jardin sont prises par l’ensemble des jardiniers.

Enfin, les jardins collectifs démontrent à des personnes que des friches urbaines sans usage spécifique prévu à court terme peuvent être (re)conquises par les habitants de quartiers à l’habitat dense. Pour certains jardiniers, cette démarche représente un moyen de conquérir leur droit à la terre et/ou à la ville : un droit à une qualité de vie urbaine. Ces espaces deviennent alors de véritables leviers d’insertion sociale, de participation citoyenne, d’appropriation de l’espace public et de réflexion quant au devenir de ce dernier. Par conséquent, les jardins collectifs peuvent constituer les pierres de touche de revitalisation des quartiers.

2. Jardins en collectivité : ailleurs et en d’autres temps

En Occident, la composante paysanne des villes a toujours été présente mais elle a été négligée, voire ignorée par les pouvoirs publics et par les scientifiques au cours du 20ème siècle[4]. Or, des formes de gestion collective de la terre existent depuis longtemps.

Ce phénomène était déjà observé lors de la première révolution anglaise, époque au cours de laquelle des intellectuels chrétiens, nommés « piocheurs » (diggers, en anglais) ou « bécheux », développèrent un processus d’auto appropriation des terres pour une gestion agraire en commun. Le style de vie strictement agraire adopté par ces personnes représentait, à l’époque, une tentative de réforme de l’ordre social mais aussi un refus de « l’enclosure act ». Elle désigne l’appropriation privée des prés communaux et des terres communales, qui étaient auparavant mises en commun par les paysans et les habitants qui s’organisaient en petites communautés rurales autonomes et égalitaires.

L’appropriation de friches pour leur transformation en jardins potagers pendant les périodes de crises économiques tels que les « Potato Patches » de la fin du 19ème siècle, les « Liberty Gardens » de la première Guerre mondiale, les « Reliefs Gardens » des années trente ou encore les « Victory Gardens » de la seconde guerre mondiale sont autant d’autres phénomènes historiques déjà observés où des habitants des villes s’approprient l’espace public pour y cultiver ce qui faisait défaut dans les magasins[5].

Ces jardins ont germé à travers l’Europe au tournant du vingtième siècle. Ils sont appelés « allotment gardens » dans les pays anglophones et « Kleingärten » dans les pays germanophones. En France, des jardins collectifs, nommés « ouvriers », sont nés avec la révolution industrielle. Ils constituaient un moyen de cultiver quelques légumes par les nouveaux travailleurs des villes, contraints de quitter leur campagne. Ils leur offraient une possibilité de s’approprier un espace sur un petit terrain laissé à l’abandon[6]. Encore aujourd’hui, ils permettent à des familles, aux revenus modestes, de se procurer des légumes et des fruits frais.

Au début des années 1970, aux États-Unis, Liz Christy, une artiste, et quelques-uns de ses amis créent les « Green Guerillas » (Guerilleros verts). Leur objectif consiste à lutter contre le désolement engendré par la multitude de terrains vagues présent dans leur quartier du Lower East Side à Manhattan. Ils décident alors de transformer ces espaces en jardins. Pour y parvenir, ils décident de lancer des « bombes de graines » (seed bombs) par-dessus les grilles de terrains laissés à l’abandon. Aujourd’hui, il existe plus de 600 « community gardens » à New York, et des milliers de jardins communautaires à travers l’Amérique du Nord. L’objectif de cette époque n’est pas seulement de produire de la nourriture, mais également de permettre à des habitants d’un quartier de se retrouver sur un terrain commun et de développer des projets collectifs[7].

En Russie[8], les jardins collectifs apparaissent dès la fin des années 30 parallèlement à l’essor d’un habitat collectif urbain et rural. Les parcelles sont alors destinées aux ouvriers et aux petits employés des villes. Au cours des années 1950-70, face à une demande croissante de la population et une faillite du système planifié de production et de distribution des biens alimentaires en URSS, une extension du dispositif des jardins collectifs est décidée. Depuis les années 90, les jardins collectifs se diversifient et s’étendent. Comme ailleurs, ils sont intimement corrélés aux crises économiques et agricoles. La possession de ces jardins est avant tout liée à une stratégie de production et de diversification alimentaire mais aussi à d’autres aspects : lien social, développement et renforcement de réseaux (échanges, du troc, …), source de prestige social, espace de loisirs et de détente, ...

3. Dynamiques des jardins collectifs

Comme le note Aline Dehasse, membre associée de l’association « Le Début des haricots »[9], les jardins collectifs naissent tant de l’initiative directe de groupes de citoyens que celle d’institutions publiques issues du secteur social et culturel (Agenda 21 local, Centres culturels, associations de quartier, CPAS, …).

La création et la pérennisation de jardins collectifs urbains conduisent leurs adeptes ou leurs porteurs de projets à recourir à l’intervention d’associations spécialisées telle que le « Début des Haricots ». Leurs demandes d’intervention sont diverses :

  • Appui technique et logistique : création et développement d’un potager biologique, installation des bacs, création de compost organique, culture de fruits et de légumes biologiques, conseils en alimentation biologique, développement de la lactation fermentée, …
  • Animations et coordination : stimulation d’une dynamique du groupe entre les jardiniers, mise en commun des idées, transmission de savoir-faire (préparations médicinales, des sirops, des dentifrices aux herbes, …), animation d’ateliers de jardinage (théorie et pratique) ou de stages de cuisine biologique, organisation de tables d’hôtes, stimulation de l’esprit autodidacte des jardiniers, organisation de bourse aux semences,
  • Stimulation d’un réseau autonome entre les membres des jardins collectifs mais aussi avec les associations locales en vue de développer les échanges de savoirs et de connaissances, de porter des revendications exprimées communément par des groupes de jardiniers auprès des instances politiques, mais aussi de soutenir et d’accompagner les nouveaux projets émergents.

 

L’appui direct offert par une association comme « Le Début des haricots » permet également de montrer aux citoyens qu’il est possible d’avoir une vie active tout en produisant une partie de son alimentation. De plus, elle lui donne la possibilité de conscientiser les membres des jardins collectifs aux mécanismes de la consommation marchande, aux logiques de marché, à la souveraineté alimentaire, à l’aménagement du territoire et à l’urbanisme ou encore à des alternatives concrètes telles que les groupements d’achats solidaires (autogérés) en ville …. Ces derniers ont pour objectifs de stimuler de nouvelles synergies entre les consommateurs et les agriculteurs locaux.

A ce jour, de plus en plus d’institutions publiques et d’associations identifient les jardins collectifs urbains comme des outils non négligeables de Conscientisation et d’éducation auprès de publics précarisés par rapport aux questions environnementales, à une alimentation saine et durable. Elles le voient comme des vecteurs qui permettent de sortir de l’isolement. Certains de ces organismes investissent des sommes considérables pour aménager des terrains en jardins collectifs (création de verger, creusage de marre, analyse de sols, apports de terre, …).

Malgré l’importance de moyens qui sont parfois alloués par ces organismes pour créer des jardins collectifs, il n’est pas rare que la pérennité de ces projets soit mise à mal. Comme le révèle Aline Dehasse, les personnes qui en bénéficient éprouvent souvent des difficultés à adhérer à un projet commun. Elles sont davantage en demande d’une parcelle individuelle. L’aspect collectif les rebute. L’intervention du « Début des haricots » consiste alors à créer le collectif, à accompagner les personnes investies dans le projet dans la définition de manière de travailler en commun, à répartir les taches et à gérer les conflits.

La précarité de l’occupation des terres est un autre élément qui freine actuellement le développement des jardins collectifs bruxellois. Les terrains sur lesquels sont aménagés des jardins collectifs sont la propriété des CPAS, des institutions publiques, des paroisses, des privés, des communes ou de la Région Bruxelloise. La pérennisation et la longévité de ces projets sont généralement limitées par des conventions définissant le temps d’occupation des terres mais aussi déterminées par les mandats des politiciens.

Conclusion

Au regard de l’inscription historique des jardins collectifs, il est tout à fait logique de penser que leur développement actuel est une réponse momentanée à un temps de crise économique. Se limiter à cette seule perspective semble toutefois insuffisante. A leur mesure, les jardins collectifs sont davantage des projets concrets qui tentent de redéfinir les limites notre modèle de société dominé par le productivisme économique.

Espaces d’inventivité et de créativité, ils sont des alternatives réelles et concrètes qui donne la possibilité à des personnes de (re)trouver une autonomie alimentaire et d’en définir les modes de production. Ils reflètent une volonté évidente de la part de nombreux citoyens de vivre l’espace urbain de manière moins individualiste, moins excluante et plus solidaire. Ils illustrent leur besoin d’apprendre à mener un projet ensemble mais aussi de se (re)connecter avec le vivant. En prônant une volonté d’accéder à des connaissances en productions alimentaires perdues et d’accéder à une agriculture urbaine, les jardins collectifs remettent aussi en question l’agriculture industrielle de masse et subventionnée. Ils affirment une volonté d’une agriculture plus proche des besoins des citoyens.

Les jardins collectifs représentent une réponse de s’écarter de l’économie de marché. Ils s’inscrivent dans la lutte contre la globalisation, dans une volonté de penser et d’expérimenter une économie plus solidaire. L’autoproduction qu’ils visent démontre que l’économie ne se limite pas aux transactions effectuées sur le marché et qu’il n’y a pas que les économistes qui ont quelque chose à dire sur la question[10]. Au contraire, ils concourent à une économie non monétaire, qui ne se compte pas nécessairement en argent sonnant, mais en dons, en temps ou en services. Les jardins collectifs démontrent que l’amélioration de qualité de vie des citoyens ne passe pas nécessairement par l’expansion de l’économie de marché capitaliste.

Ces projets soutiennent un modèle sociétal prônant une humanité libérée de l’économisme qui se donne comme objectif la justice sociale, la relocalisation de l’économie, la réduction des charges environnementales, la qualité plutôt que la quantité, la coopération plutôt que la compétition.

Cet intérêt pour l’agriculture en milieu urbain mériterait d’être davantage pris en considération et soutenu par les politiques publiques régionales.

Références

[1] Boulianne M., « Faire pousser la solidarité : les jardins communautaires et collectifs au Québec », Musée de la civilisation, 16 septembre 2006.

[2] Weber F., L’honneur des jardiniers. Les potagers dans la France du XXème siècle, Belin, Paris, 1998, p. 287.

[3] Mansourovna Boukharaeva L., Kauark Chianca G., Marloie M., Toledo Machado A., Torres de Toledo Machado C., L’agriculture urbaine comme composante du développement humain durable : Brésil, France, Russie, Cahiers Agricultures, Volume 14, n° 1, janvier-février 2005, p. 156.

[4] Bairoch P., De Jéricho à Mexico. Villes et économie dans l’histoire, Gallimard, Paris, 1985, p. 706.

[5] Saldivar-Tanaka L., Krasny M., Culturing community development, neighborhood and open space, and civic agriculture : the case of Latino community garden in New-York City, Agriculture and Human Values, n° 21, p. 399.

[6] Bonnavaud H., Des jardins ouvriers au jardins familiaux : un siècle d’évolution, Sites et monuments, Paris, n° 194, 2006, pp. 8-10

[7] Pasquali M., I giardini di Manhattan. Storie di guerrilla gardens, Milano, Bollati Boringhieri, 2008.

[8] Ortar N., Les multiples visages de la datcha des jardins collectifs, Anthropologie et sociétés, 2005, volume 29, n° 2, pp. 169-185.

[9] Pour plus d’information, veuillez consulter le site du Début des Haricots : www.haricots.org

[10] Boulianne M., op. cit.

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